Cap sur la Bolivie !

Ce dossier est tiré du numéro 139 du magazine Transitions.
En Bolivie, malgré les progrès réalisés au niveau de la réduction de la malnutrition depuis le début des années 2000, assurer la sécurité alimentaire est aujourd’hui encore un défi : environ 20 % de la population bolivienne souffre toujours de la faim tandis que 40 % est en surpoids ou en situation d’obésité.
L’accélération des catastrophes naturelles qui impacte le monde agricole et le prix galopant des denrées alimentaires rendent encore plus difficile l’objectif d’assurer la sécurité alimentaire. Tout comme l’exode rural, qui accentue également les difficultés des familles vivant en ville.
En effet, 70 % des Boliviens vivent maintenant dans les villes, alors qu’une majorité de la population vivait à la campagne il y a 50 ans à peine. Cette situation accentue le défi auquel fait face la population urbaine : générer et garantir des systèmes alimentaires durables, capables de fournir un accès équitable et constant à une alimentation de qualité
En Bolivie, la vallée de Cochabamba est particulièrement exposée à ces problèmes. La ville éponyme dépend fortement des communes environnantes pour se fournir en fruits, légumes et céréales.
Anciennement considérée comme le verger et le grenier à maïs du pays, cette région voit pourtant depuis la fin du XXe siècle ses terres agricoles diminuer et souffre d’un manque d’accès à l’eau. Ceci est le fruit, comme dans beaucoup d’autres régions du monde, d’une urbanisation galopante, des changements climatiques et de la croissance démographique.
Aujourd’hui, le département de Cochabamba importe une grande partie de son alimentation. Pourtant, cette situation n’est pas irréversible ! Mais elle nécessite un changement de modèle agricole, un respect accru des droits des agricultrices et agriculteurs, une conscientisation des consommateurs et des pratiques davantage respectueuses des humains et de l’environnement. C’est le pari qu’a fait notre partenaire, la Fondation AGRECOL Andes.
Vous le savez déjà : au Pérou, dans la région de Huánuco, Iles de Paix accompagne depuis plusieurs années des familles de productrices et producteurs dans le renforcement de leurs capacités et, in fine, des systèmes alimentaires locaux. Ainsi, ces familles renforcent leurs activités agricoles et les rendent plus écologiques. Elles améliorent également leur présence sur les marchés locaux.

Or, il se trouve que ces orientations sont également développées par la Fondation AGRECOL Andes de Cochabamba, bien que cela soit à 2500 km de Huánuco. Le parallèle entre les activités de transition agroécologique menées dans les deux pays a mis en avant l’intérêt de faire se rencontrer ces dynamiques, afin d’alimenter les apprentissages de terrain au Pérou, et vice versa.

Ainsi, Iles de Paix s’est associée à la Fondation AGRECOL Andes pour lancer dans le pays voisin un programme complémentaire à celui mené depuis plusieurs années déjà au Pérou. Pour pouvoir alimenter les réflexions des deux côtés de la frontière, des moments d’échanges vont être organisés pour partager les expériences d’Iles de Paix, d’AGRECOL, des autorités locales, et des familles impliquées dans les deux programmes.


AGRECOL, un partenaire d’expérience
Riche de plus de 20 ans d’expérience en Bolivie, la Fondation AGRECOL Andes accompagne des groupements de producteurs, composés en majeure partie de femmes. La Fondation a pour objectif de promouvoir ledéveloppement de l’agroécologie, la gestion des ressources en eau, l’alimentation saine ainsi que l’économie sociale et solidaire. Avec l’idée d’impacter les différents maillons de la chaine alimentaire, elle travaille autant en ville qu’à la campagne dans la région autour de Cochabamba. Ce partenaire organise des formations, diffuse des informations et fait du coaching pour accompagner l’évolution des techniques agricoles, l’apprentissage collectif, la disponibilité constante d’aliments, la coconstruction de solutions. Tout ceci pour contribuer à l’amélioration des conditions de vie, également à la campagne. AGRECOL soutient aussi le processus de certification dans le cadre du Système Participatif de Garantie (SPG). Cette accréditation permet de garantir la commercialisation écologique sur le marché local et d’encourager la consommation d’aliments sains. Elle a également promu la création et l’expansion de marchés agroécologiques dans le but de favoriser les circuits courts de commercialisation et de répondre aux demandes des consommateurs.
« Feed Good »,
tout un programme !
La nouvelle intervention d’Iles de Paix en Bolivie s’appelle Feed Good (Bien se nourrir). La première phase de mise en oeuvre durera jusqu’en 2026. Avec l’appui de financements supplémentaires, nous espérons pouvoir élargir le travail ensuite avec une seconde phase, plus ambitieuse. La phase actuelle cherche à améliorer la production et la (re)vente des produits agricoles des familles, en promouvant des techniques plus durables. Il s’agira, par exemple, de :
- Renforcer les systèmes de production agroécologique durables et leur articulation en circuits courts de commercialisation. Pour pouvoir améliorer les moyens de subsistance des familles, la commercialisation des produits agricoles est un pivot indispensable. Ainsi, le programme vise à stabiliser les canaux de commercialisation, en renforçant ceux déjà existants (les foires et marchés, par exemple), mais aussi en trouvant de nouveaux espaces et de nouvelles initiatives de commercialisation (par exemple des magasins bio, paniers hebdomadaires, etc.) ;
- Créer des espaces de concertation régionaux pour la reconnaissance et le positionnement de la production agroécologique au sein d’instances publiques et privées. La promotion du certificat SPG comme processus d’accréditation et de visibilité est une des activités liées à ce travail avec les instances. Le certificat permet aux productrices et producteurs de fournir l’assurance aux consommateurs des pratiques qualitatives et durables de leur activité.

- Renforcer les capacités des femmes, des jeunes et de leur environnement familial comme acteurs cruciaux dans les enjeux liés aux systèmes alimentaires. Cela passe par un travail sur l’autonomisation économique des femmes, l’inclusion des jeunes dans les questions liées à l’agroécologie et le renforcement des liens entre producteurs et consommateurs.

Rencontre avec Gaël de Bellefroid, directeur au Pérou et en Bolivie pour Iles de Paix, et Sébastien Mercado, chargé d’appui aux programmes Pérou, Bolivie et Ouganda


D’où vient l’envie de démarrer un programme en Bolivie, et plus spécifiquement à Cochabamba ?
Gaël : Après une vingtaine d’années d’intervention en Equateur (jusqu’en 2012), puis l’intervention actuelle au Pérou (depuis 2008), le choix de la Bolivie était le plus logique. En effet, les indices de développement des autres pays de la région, comme la Colombie par exemple, sont nettement plus élevés, et une intervention d’Iles de Paix s’y justifie donc moins. Un élément qui a beaucoup joué dans le choix de la région de Cochabamba est la présence historique d’un de nos partenaires belges, SOS Faim. Son siège bolivien est installé dans cette ville depuis plus de vingt ans. Démarrer à partir de leurs expériences en Bolivie est un gain de temps et de ressources.
Sébastien : La ressemblance de nos programmes au Pérou et en Bolivie est un autre facteur qui ajoué. Et puis, AGRECOL a une longueur d´avance en termes d´agriculture agroécologique périurbaine et urbaine et au niveau des circuits courts de commercialisation, deux aspects essentiels à notre programme de Huánuco au Pérou. Cela nous permettra d´évaluer ce qui a été testé d´un côté ou de l´autre, de voir ce qui fonctionne.
Pourquoi avoir choisi de s’associer avec AGRECOL sur le terrain ?
S. : Nous avons connu AGRECOL lors d’un atelier d’échange d’expériences sur le développement territorial, à Cuzco, en 2018. Son programme sur la transition agroécologique dans des municipalités du département de Cochabamba nous avait fait très bonne impression à l’époque. Nous les avons alors contactés en 2021 pour en savoir plus.
G. : Lors de l’identification formelle d’un partenaire, nous avons établi un processus de prospection. Le dossier de projet rendu par AGRECOL nous a semblé être le plus proche de la mission d’Iles de Paix, notamment dans la perspective de développer des échanges d’expériences avec l’intervention actuelle au Pérou. La qualité intrinsèque et l’expérience d’AGRECOL se sont ensuite confirmées lors des premières visites, en juin 2022. De plus, la Fondation est également un partenaire de longue date de SOS Faim.
Qu’apporte Iles de Paix comme expertise supplémentaire à celle, déjà très riche, d’AGRECOL ?
G. : Si l’apport d’Iles de Paix est essentiellement financier jusqu’à présent, nous avons cependant pu, depuis le début de la collaboration, également engendrer un saut qualitatif en matière de suivi-évaluation, des outils de gestion utilisés, et dans la gestion des données.
S. : Et tout comme dans les programmes dans les autres pays, nous accompagnons étroitement le partenaire, nous visitons ensemble le terrain, nous discutons des stratégies de mise en oeuvre pour être le plus efficace possible, nous travaillons ensemble sur le dispositif de suivi-évaluation pour qu´il soit pertinent et adapté aux familles.
Ce dossier est tiré du numéro 139 du magazine Transitions.