Jardiner à l’école, un levier pour se nourrir durablement et protéger l’environnement ?
Analyse Iles de Paix, Stéphanie Laloux, 22 décembre 2022.
Les potagers scolaires ont de plus en plus la cote. Auparavant, ces jardins étaient traditionnellement utilisés pour étudier les sciences agronomiques, à des fins de formation professionnelle agricole ou pour procurer des revenus à l’école. Aujourd’hui, la sensibilisation croissante de la société envers l’écologie, la santé et la nutrition, ainsi que l’émergence des pédagogies actives, contribuent à un regain d’intérêt envers les potagers au sein des écoles.
Quels rôles peuvent jouer les potagers scolaires dans la société, en Belgique mais aussi dans les pays dits « du Sud », où la sécurité alimentaire reste un enjeu central ? Dans quelle mesure cet outil peut-il contribuer à la protection de l’environnement ainsi qu’à l’amélioration de la nutrition voire des moyens d’existence sur le long terme ? Quels sont les défis auquel il fait face et les conditions de son succès ? Autant de questions auxquelles nous allons tenter de répondre. Pour y parvenir, nous nous baserons notamment sur l’expérience du projet « Potagers du Monde », conçu par l’ONG Iles de Paix et mis en œuvre en parallèle en Belgique et au Bénin.

Le potentiel des jardins scolaires
Un jardin scolaire est un espace situé dans une école primaire ou secondaire, ou à proximité. Il permet aux élèves et professeurs de cultiver des légumes, des fruits et des herbes aromatiques à des fins pédagogiques. Ces potagers à l’école ont de nombreux atouts, qui peuvent différer selon les contextes et régions du monde.
Le potager comme soutien à l’apprentissage
Une des vocations premières des jardins scolaires est de servir de support éducatif pour les élèves. Partout dans le monde, ces potagers favorisent les apprentissages, à différents niveaux. Leur intérêt pédagogique principal consiste à apprendre aux enfants et aux jeunes comment se nourrir durablement, comment cultiver, récolter, conserver et préparer des fruits et des légumes de saison et sans pesticides, à découvrir par la pratique les cycles de la nature et de l’alimentation.
Le potager est donc un excellent angle d’approche pour aborder le thème de l’alimentation durable, à travers une pédagogie active. Mais il permet également de traiter d’autres thèmes et d’autres matières comme les sciences, les mathématiques, la géométrie, la géographie ou encore la compréhension à la lecture. Le jardin est alors utilisé comme un laboratoire d’expériences pratiques, dans lequel l’élève devient acteur de ses apprentissages. On constate, par ailleurs, que le potager à l’école peut être particulièrement bénéfique pour les élèves en difficulté scolaire. A travers ce projet, ils peuvent se (re)motiver par son côté ludique et pratique, et améliorer leur estime d’eux-mêmes.
L’organisation « The Edible Schoolyard » illustre bien cet objectif pédagogique des potagers scolaires. A l’origine du projet, un potager créé en 1995 dans une école californienne, en collaboration avec la cheffe d’un restaurant renommé. Ce jardin scolaire avait la particularité d’être totalement intégré à l’enseignement dispensé dans l’école. Encore aujourd’hui, les élèves y sont sensibilisés, dès le plus jeune âge, à l’écologie et à la nutrition à travers toutes les disciplines abordées à l’école (et non pas en les enseignant comme des matières à part). Cette expérience fait aujourd’hui référence et a permis le lancement de programmes similaires dans plus de 5 000 écoles aux quatre coins du globe.
L’objectif éducatif est également au centre du projet « Potagers du Monde » d’Iles de Paix. Dans le cadre de celui-ci, plusieurs classes de Belgique et du Nord du Bénin ont été mises en contact et accompagnées dans le développement de potagers scolaires agroécologiques. Le projet a permis à près de 700 élèves de prendre conscience des actions qu’ils peuvent mener en faveur d’une alimentation plus durable, tout en apprenant et en échangeant sur l’expérience partagée autour de leur potager. L’école Saint-Joseph à Spy fait partie des écoles belges impliquées dans le projet. Ethel Ernoux y est enseignante. Elle souligne l’intérêt pédagogique du potager pour apprendre l’origine des aliments, que les enfants connaissent de moins en moins, constate-t-elle, y compris en milieu rural. Par ailleurs, ajoute Ethel, « il y a moyen de relier le potager à toutes les matières. Tout ce qui est parcelles, carrés potagers, etc., on peut en faire de la géométrie, on peut calculer les espacements entre les graines, on peut faire du savoir-écrire pour relater ce qu’on a fait ou pour faire des listes de ce qu’il y a à faire, on peut faire des sciences… On peut le raccrocher au programme sans problème, même au cours de citoyenneté ».
Un vecteur de liens sociaux et de connexion à la terre
A côté des nombreux savoirs et savoir-faire que le potager permet de développer, il est également vecteur de savoir-être. Il permet aux élèves d’être reliés à la terre, aux autres enfants et aux différents acteurs scolaires.
Mener un projet commun favorise les liens sociaux, l’esprit de collaboration et l’entraide entre les enfants, ainsi qu’avec les différents acteurs scolaires ou extérieurs à l’école (par exemple, les enseignants, des élèves d’autres classes, des parents ou grands-parents qui donnent un peu de leur temps pour le potager, un apiculteur, un agriculteur, etc.). Ethel Ernoux met cet aspect en évidence : « Le potager crée des liens avec les autres. Quand on récolte quelque chose, on fait une recette […] et on la fait gouter aux autres classes. Et même avec les personnes extérieures, par exemple, à la fin de l’année, on avait trop de salades et on est allés les donner aux voisins ».
De plus, entretenir un jardin, c’est l’occasion de sortir de la classe, de pratiquer une activité physique et de reconnecter les enfants et les jeunes à une nature dont ils sont souvent de plus en plus éloignés. Pour Ethel Ernoux, il s’agit de l’intérêt premier du potager de l’école : « Pour moi, l’avantage numéro 1 c’est que les enfants sortent, soient en contact direct avec la nature, ce que beaucoup ne font plus ».

Un tremplin pour l’accès à une alimentation saine
On l’a vu, les potagers scolaires sont avant tout un instrument éducatif, permettant de mettre les savoirs en pratique et d’enrichir le parcours scolaire. Ils ne peuvent pas à eux seuls améliorer la santé des élèves et de leur famille, ni remplacer les repas scolaires. Mais ils peuvent y contribuer.
Dans le monde, les besoins en termes de nutrition sont énormes : en 2021, près de 10 % de la population mondiale souffraient de la faim, un chiffre en hausse par rapport aux années précédentes. Près de 150 millions d’enfants de moins de 5 ans présentaient un retard de croissance et de développement en raison d’un manque chronique de nutriments essentiels dans leur alimentation, et 39 millions étaient en surpoids. Le manque d’apports énergétiques et de nutriments freine notamment les capacités d’apprentissage des enfants.
En Belgique, environ la moitié de la population est en surpoids ou obèse. Ce chiffre s’élève à 20 % chez les enfants. Les plus pauvres ont plus de deux fois plus de risques d’être obèses que les plus riches. Un autre indicateur important est l’écart par rapport aux recommandations nutritionnelles. Par exemple, seulement 14 % de la population belge consomme au moins les 400 grammes de fruits et légumes recommandés par jour.
Face à cette situation, les jardins scolaires ont un rôle à jouer. Tout d’abord, les potagers au sein des écoles peuvent avoir un véritable effet sur le régime alimentaire, à condition que le jardinage soit accompagné d’un bon apprentissage sur la nutrition. En effet, la recherche a permis de démontrer l’efficacité de l’éducation nutritionnelle via la production du jardin : les enfants et les jeunes qui cultivent des légumes et des fruits en milieu scolaire mangent davantage ces aliments. Des études ont également conclu que ces enfants affichaient un meilleur état de santé et de meilleurs résultats en termes d’apprentissage[1]. En revanche, l’éducation nutritionnelle qui se base uniquement sur les connaissances théoriques aura peu d’effets sur les pratiques alimentaires[2].
Par ailleurs, les jardins scolaires peuvent servir de modèles pour les potagers familiaux et pour la consommation de l’ensemble du ménage. Pour cela, il importe de respecter le contexte local, de proposer des techniques facilement applicables à domicile et d’associer les familles. Par exemple, le projet « Potagers du Monde » d’Iles de Paix implique les parents et grands-parents des élèves, à la fois en Belgique et au Bénin, où 12 associations de parents d’élèves, soit 120 parents, sont associés au projet. Leur participation a favorisé des échanges intergénérationnels autour de l’alimentation et de la production saine de nourriture. Elle a aussi stimulé la création de jardins potagers dans les familles, et l’application des techniques apprises à l’école par les enfants dans les potagers familiaux existants. Alex Laleye, animateur pour le projet d’Iles de Paix « Potagers du Monde » au Bénin, met cet aspect en exergue : « Grâce aux sensibilisations dans les écoles, les enfants ont répliqué les jardins potagers à la maison. Les parents ayant vu l’approche, la production maraichère agroécologique, ont aussi adopté ces techniques-là. Ils ont appris cela par leurs enfants ». La qualité de l’alimentation de l’ensemble du ménage s’en trouve améliorée : « Les parents produisent leurs propres légumes et ont aussi acheté des légumes issus des potagers scolaires. Donc ces potagers ont permis une disponibilité de légumes frais, locaux et sains, sans engrais chimiques, tout au long de l’année », ajoute l’animateur béninois.
Enfin, bien que les jardins scolaires ne permettent pas de produire suffisamment pour nourrir toute l’école, ils peuvent faire la différence en contribuant à préserver la santé des élèves. Ainsi, au Bénin, les légumes des potagers du projet « Potagers du Monde » ont largement contribué à la réalisation de la sauce aux légumes des cantines scolaires, améliorant la qualité nutritionnelle des repas des cantines et entrainant une réduction des taux de déscolarisation au cours de l’année. « Il y a eu une amélioration des repas, parce que les légumes issus des potagers ont contribué à l’alimentation des enfants à travers les cantines scolaires. Environ 1000 enfants ont été impactés dans les 6 écoles concernés par le projet. Avant, il n’y avait pratiquement pas de légumes dans les cantines parce-que l’Etat donnait uniquement un peu de vivres, donc ce sont les parents qui devaient apporter les légumes pour alimenter la cantine. Parfois, il n’y en avait pas, c’était juste de l’huile et des oignons qu’on mettait par exemple dans le riz. Donc la qualité nutritionnelle n’y était pas. Le potager a permis une diversité des légumes. De plus, le surplus de légumes est vendu par l’école, ce qui permet par exemple d’acheter des petits poissons ou du fromage de soja pour la cantine, contribuant à l’amélioration de la qualité du repas. Cette amélioration des repas au niveau de la cantine a entrainé une augmentation de la fréquence des enfants à l’école. Parfois même, à l’heure du repas, des enfants non-scolarisés suivent leur grand frère pour pouvoir manger à l’école. Parce-que parfois les enfants ne trouvent pas de quoi manger à la maison », expliqueAlex Laleye.
Un outil de sensibilisation à la protection de l’environnement
Dans le contexte des changements climatiques, il est essentiel de sensibiliser les plus jeunes aux enjeux liés à la production de l’alimentation et aux alternatives à leur portée pour protéger l’environnement. Les jardins scolaires représentent une manière concrète d’expliquer aux élèves que manger des fruits et légumes produits localement et de manière respectueuse de l’environnement contribue non seulement à améliorer leur santé mais aussi à la sauvegarde de notre planète. Le potager à l’école permet d’aborder des thèmes tels que les impacts de l’agriculture industrielle, la dégradation des sols, l’importance de la préservation des ressources en eau ou encore le déboisement.
A titre d’illustration, le projet « Potagers du Monde » comprend également un volet axé sur la revalorisation et la réparation de structures d’accès à l’eau pour les potagers des écoles accompagnées au Bénin. Les élèves belges et béninois ont été sensibilisés à la situation de l’accès à l’eau à travers le monde ainsi qu’à l’importance de l’utilisation raisonnée de l’eau et des ressources naturelles en général.
Une voie vers une future source de revenus
Dans les économies dépendantes de l’agriculture, développer un savoir-faire agricole et un esprit d’entreprise dans ce secteur sont essentiels pour assurer aux jeunes des moyens d’existence pour l’avenir. En Afrique subsaharienne, malgré l’urbanisation rapide, l’agriculture est la principale source de revenu et de subsistance pour plus de 70 % de la population adulte. Par exemple, dans la région de l’Atacora où travaille l’ONG Iles de Paix au Bénin, 80 % de la population vit de l’agriculture, majoritairement dans des petites fermes familiales. Paradoxalement, dans le monde, les ménages pour qui l’agriculture est la principale source de revenus sont ceux qui souffrent le plus de la faim. Cette précarité, la modicité des rémunérations liée à la faible productivité ainsi que la charge de travail poussent beaucoup jeunes à abandonner les zones rurales et l’agriculture, malgré son potentiel de création d’emplois.
Dans ces contextes en particulier, les potagers scolaires sont un outil important pour valoriser le savoir-faire agricole, développer le potentiel économique du travail de la terre, et donner envie aux jeunes générations d’innover et d’investir dans ce secteur. Les jardins dans les écoles peuvent ainsi servir de point de départ pour aborder des thématiques telles que les techniques agricoles efficaces et respectueuses de l’environnement, le stockage et la transformation des produits, les outils marketing, les nouvelles technologies ou encore la réalisation de plans d’affaire. Il s’agit ici d’établir des liens entre l’apprentissage du jardinage d’une part, et les objectifs et projets personnels des élèves d’autre part.
Au Bénin, Alex Laleye met en avant le rôle que peuvent jouer les potagers scolaires à cet égard : « Les potagers scolaires peuvent susciter le goût entrepreneurial chez les enfants. Par exemple, nous avons mis en place des outils de gestion, des cahiers, et lors de la vente des légumes, ce sont les enfants qui les remplissent eux-mêmes. De cette manière, ils peuvent connaitre les dépenses et les bénéfices. Il y a même une élève qui a fait un potager à la maison et elle vend parfois quelques légumes aux voisins en saison sèche quand il n’y a pas de légumes frais dans les villages. Si l’enfant, dès le bas âge, apprend des actions de ce genre, cela peut susciter le goût de l’entreprenariat plus tard chez l’enfant, pour en faire peut-être son métier dans le futur ».

Les défis et clés du succès
Si les potagers scolaires apportent énormément d’avantages aux apprentissages et permettent de récolter des bénéfices sociaux, sanitaires et environnementaux, certains obstacles peuvent nourrir la réticence des enseignants et des écoles à se lancer dans ce type de projets.
En effet, les potagers demandent un entretien régulier en période scolaire mais également pendant les vacances. Les enseignants doivent donc disposer de connaissances, d’expérience, d’aide technique et de formations, notamment pour faire coïncider le rythme des fruits et légumes et le rythme scolaire. Ethel Ernoux, de l’école de Spy, souligne cette contrainte : « Une énorme difficulté des jardins potagers scolaires c’est que la plupart des légumes arrivent en juillet-août. Donc nous on fait beaucoup de plantes aromatiques ou des légumes qui arrivent tôt dans la saison. Et on va essayer cette année des potirons, pour les récolter en automne ». Il importe également de pouvoir compter sur le soutien des familles et de la communauté pour faire vivre le projet tout au long de l’année. Au Bénin, dans les écoles accompagnées par Iles de Paix, l’implication des parents d’élèves permet d’entretenir les potagers, y compris pendant les vacances : « Pendant les congés, ce sont les parents qui veillent à ce que le jardin continue à s’animer, les écoliers et leurs parents font des permanences pour que le jardin puisse fonctionner jusqu’au retour des congés », explique Alex Laleye.
Le nombre élevé d’enfants par classe ainsi que la charge de travail des enseignants, notamment l’augmentation des tâches administratives, représentent également un frein à l’engagement des écoles dans des projets tels que les potagers scolaires.
Par ailleurs, l’accès à un terrain, à l’eau et aux intrants appropriés, comme les semences ou le compost, ainsi qu’aux outils nécessaires n’est pas toujours évident, en particulier dans le contexte des pays du « Sud » mais aussi en Belgique. « Pour semer, il faut acheter des graines et un minimum d’outils, or les écoles n’ont pas d’argent », relate Ethel Ernoux. Au Bénin, Alex Laleye ajoute la problématique des vols de légumes, dans certaines écoles.
On constate un manque de capitalisation et d’évaluation des effets de ce type de projet sur le long terme. Il n’est donc pas évident de dresser une liste exhaustive des contraintes et des conditions du succès des potagers scolaires. Et ce d’autant plus que les difficultés rencontrées sont spécifiques au contexte de chaque pays, région ou école. Les solutions qui leur sont apportées doivent donc l’être également.
En définitive, malgré ces difficultés, l’engouement croissant pour les potagers scolaires démontre combien il est aujourd’hui urgent et essentiel de remettre l’élève et la nature au centre des apprentissages. En ancrant le respect de l’environnement et de sa propre santé dans les pratiques quotidiennes, la reconnexion avec l’origine de notre alimentation est tout simplement nécessaire pour affronter les défis écologiques et sociaux auxquelles font face nos sociétés.
Sources :
- Bruxelles Environnement, Un potager à l’école, mai 2022, https://environnement.brussels/un-potager-lecole
- Curnier Daniel, Jardins scolaires : effet de mode ou outil idéal pour une éducation en vue d’un développement durable ?, Mémoire, Haute Ecole Pédagogique Vaud, 2014.
- Eclosio, Le potager scolaire : s’alimenter sainement, tout en apprenant !, https://www.eclosio.ong/project/le-potager-scolaire-salimenter-sainement-tout-en-apprenant/
- FAO, Une nouvelle donne pour les jardins scolaires, 2010.
- FAO, Améliorer la nutrition grâce aux jardins potagers. Module de formation à l’intention des agents de terrain en Afrique, 2002.
- Iles de Paix, Projet Potagers du Monde, financé par le WBI, Rapport final, 2022.
- UFAPEC (Union francophone des associations de parents de l’enseignement catholique), Potagers à l’école : quelles récoltes sociales, France Baie, Février 2016.
[1] APRIFEL, Quand la cour d’école se transforme en potager, https://www.aprifel.com/fr/article-revue-equation-nutrition/quand-la-cour-decole-se-transforme-en-potager/
[2] FAO, Une nouvelle donne pour les jardins scolaires, 2010.