Les certifications alternatives de produits biologiques : défis et potentiels pour accélérer la transition vers des systèmes alimentaires durables 

(Partie 1 : Analyse de cas dans la région de Huánuco (Pérou), 2020)

Analyse Iles de Paix, Sébastien Mercado, 07 novembre 2022.

On voit en Belgique francophone des initiatives émerger autour de la certification participative de produits biologiques. Mais de quoi s’agit-il ? Quels sont les défis mais aussi le potentiel de ces mécanismes pour accompagner la transition vers des systèmes alimentaires durables ? Comment tirer profit des leçons apprises dans d’autres pays qui se sont lancés dans cette voie il y a parfois 20 ans déjà.

Dans ce premier volet, nous rappelons les fondements des systèmes de garantie participative et analysons ce qui ressort du cas spécifique du Pérou.

Dans un deuxième volet, nous analyserons comment les apprentissages du Pérou font écho et peuvent nourrir la réflexion des acteurs engagés en Belgique.

Au Pérou, depuis près de 20 ans et sous l’impulsion d’associations et ONG[1], on voit apparaitre des groupements de paysans qui s’organisent pour certifier leur production biologique selon le système participatif de garantie (SPG). Le SPG est une méthodologie de certification, basée sur la participation directe des producteurs et productrices, consommateurs et autres membres de la communauté, qui vérifient, entre eux, l’origine et l’état de la production agroécologique. Ces acteurs garantissent ensuite le caractère « bio » de la production et la commercialisation de ces produits. Contrairement à la certification privée, réalisée par une entreprise et destinée presque exclusivement à l’exportation, les produits certifiés SPG se commercialisent au niveau local, souvent en circuit court. L’avantage du SPG pour le paysan se situe notamment au niveau financier car cette certification se fait à un moindre coût et pour l’ensemble de sa production bio, contrairement à la certification privée.

Ces initiatives de certification participative, qui émanent en premier lieu de la société civile, ont été reconnues et soutenues d’abord par certains gouvernements régionaux et, plus récemment, par l’Etat péruvien. Des conseils régionaux du SPG ont vu le jour dans 13 régions, ainsi qu’un conseil national du SPG, regroupant des associations de producteurs, de consommateurs, des ONG et des institutions du service public.

Dans la région andine de Huánuco située au centre du Pérou (où l’ONG Iles de Paix est active), le SPG a été impulsé par l’ONG IDMA depuis plus de 15 ans. Nombreux producteurs se sont engagés dans ce processus de certification mais force est de constater aujourd’hui un taux de désaffection croissant des producteurs pour le SPG. En effet, il y a 4 ou 5 ans, on comptait entre 300 et 400 producteurs certifiés dans la région, mais leur nombre est tombé à 120 en 2019. Pourtant, paradoxalement, dans le même temps, l’Etat péruvien adoptait des lois reconnaissant le SPG comme système de certification des produits biologiques. Une étude[2] a donc été lancée pour essayer de comprendre les motifs de l’abandon du SPG par les producteurs. Plusieurs raisons ont été soulevées.

Les contraintes à la mise en œuvre du SPG

1. Les contraintes productives et organisationnelles

Au niveau de la production, la lutte contre les maladies ou ravageurs sans recours à aucun produit de synthèse reste un défi. C’est l’une des difficultés majeures de la transition agroécologique. A terme, la restauration des écosystèmes devrait permettre la régulation naturelle des ravageurs, à condition que ce processus soit entrepris à grande échelle et pas de façon isolée dans quelques fermes pilotes. Cependant, à court et moyen terme, les producteurs n’ont généralement pas d’autres choix que de recourir aux pesticides en cas d’attaque d’un insecte ou parasite sur leur récolte, bien que cela les exclue du système de garantie. 

Il en va de même pour la contrainte relative à la restauration de la fertilité des sols. La production suffisante de compost ou autres fertilisants organiques reste problématique, en particulier pour les fermes de petite taille, qui manquent souvent de ressources pour réaliser eux-mêmes ces intrants naturels, et se tournent donc vers les produits de synthèse, faciles d’accès. L’utilisation de ces produits prive les producteurs du système de la certification SPG.

Ces contraintes au niveau de la production devraient faire l’objet de recherches en agronomie de la part des instituts, services public et universités. Ce n’est malheureusement pas le cas au Pérou. La seule recherche qui existe se limite aux initiatives de recherche-action menées par les paysans eux-mêmes, appuyés ou pas par des ONG, et dont la diffusion reste limitée.

Les services de l’Etat devraient, eux aussi, jouer leur rôle d’appui technique aux producteurs en matière d’agroécologie et de SPG. Malheureusement, ces services, quand ils existent, soutiennent plutôt le modèle de l’agriculture conventionnelle.

La faiblesse organisationnelle des groupements SPG de base a aussi été pointée du doigt par l’étude, comme explication du désengagement des paysans. L’étude constate en effet qu’après le départ des ONG, les groupes cessent de se réunir, les évaluateurs arrêtent leurs visites et la dynamique s’essouffle rapidement. Ceci pose de nombreuses questions quant à la durabilité du système au-delà de la période d’accompagnement réalisée dans le cadre d’un projet mis en œuvre par une ONG. Difficulté à laquelle s’ajoute la fragilité du conseil régional aussitôt qu’il n’est plus soutenu et animé par les ONG, tel qu’on l’a vu à Ayacucho par exemple.

Ces contraintes constituent autant d’entraves sérieuses pour le paysan, remettant souvent en question le maintien de sa participation au système ; a fortiori si, par la suite, la certification ne lui permet pas de percevoir une amélioration économique substantielle au moment de la commercialisation de sa production.

2. Contraintes commerciales

Selon les enquêtes menées sur le terrain, la quasi-totalité des producteurs ont mentionné que le certificat SPG ne leur apportait au final aucun avantage économique[3]. D’une part, pour la plupart, les consommateurs ne connaissent simplement pas le SPG, ni la valeur du certificat. D’autre part, les produits certifiés sont en concurrence directe avec les produits issus de l’agriculture conventionnelle, sur un marché où beaucoup de consommateurs sont clairement à la recherche des prix les plus bas.

Par ailleurs, l’obtention du certificat SPG est la condition sine qua non pour avoir accès aux espaces de vente de produits bio. Dès lors, on observe que les seuls producteurs qui continuent de faire les efforts nécessaires pour l’obtenir sont ceux qui ont perçu le potentiel commercial de ce point de vente, et qui y écoulent désormais, souvent, des produits achetés ailleurs, qui ne proviennent pas, ou pas uniquement, de leur propre ferme. Ceci est aussi révélateur du manque de connaissances de certains consommateurs quant aux fruits et légumes pouvant être récoltés dans leur région, à quelle saison, et qui ne font pas la distinction entre les produits agroécologiques et les autres, et ce, malgré la certification.

Enfin, force est de constater qu’il existe une contradiction entre, d’un côté, un modèle agroécologique qui fait de la diversification des cultures l’un de ses piliers (du fait de la plus grande résilience des agroécosystèmes diversifiés) et, de l’autre, des habitudes alimentaires qui s’occidentalisent et s’appauvrissent. On observe donc un décalage croissant entre les produits que proposent les producteurs agroécologiques et les attentes des consommateurs, qui elles sont de plus en plus orientées par l’offre proposée par les supermarchés.

3. Les orientations de la politique publique

Tel que nous l’avons déjà signalé, les orientations de la politique publique en matière agricole au Pérou, ne sont certainement pas au profit de l’agriculture familiale durable. Ainsi, alors qu’idéalement, il faudrait un Etat qui soutienne techniquement ses paysans pour les accompagner dans leur transition  agroécologique, qui investisse massivement dans l’amélioration des routes afin de diminuer les couts de transports, qui soutienne les paysans dans la certification SPG, qui promeuve le label auprès des  consommateurs, qui facilite la création de marchés locaux de producteurs et qui encourage les achats publics de produits issus de l’agriculture durable (dans le cadre des cantines scolaires par exemple), les autorités péruviennes misent plutôt sur l’agro-industrie d’exportation, source de plus grands dividendes pour le trésor public, mais qui contribuent peu à la sécurité alimentaire et à la prospérité de la plupart des péruviens.

La réforme législative a donné l’impression que le système SPG allait enfin devenir une certification valable pour les achats institutionnels puisqu’il a été inséré dans la loi (ce que d’aucun ont considéré comme une grande victoire, après plus de 15 années de lutte). Mais le règlement d’application de cette loi rend en réalité caduc le modèle de fonctionnement actuel du SPG, en obligeant pratiquement ce dernier à évoluer vers un système de certification privée. En effet, l’émetteur du certificat devrait obligatoirement avoir une personnalité juridique, notamment afin de répondre aux autorités en cas d’éventuelle tromperie détectée, très loin donc de la philosophie originelle du SPG.

Quelques pistes pour sortir de l’impasse

Malgré la diminution progressive du nombre de producteurs certifiés SPG, on peut constater que les quelques producteurs qui sont restés fidèles à la philosophie originelle de cette certification affirment ne plus en avoir besoin aujourd’hui car la relation de confiance est suffisamment établie avec leurs acheteurs. Ces derniers déclarent en effet être bien davantage rassurés par le fait de connaitre personnellement leur fournisseur que par un quelconque certificat. C’est donc définitivement dans cette voie de la confiance restaurée entre l’acheteur et le producteur qu’il faut chercher des pistes de solution. Cette relation de confiance constitue précisément la raison d’être initiale du SPG, qui reste donc a priori pertinente et nécessaire, mais qui ne semble pas avoir rempli pleinement sa mission sous sa forme actuelle dans le contexte de Huánuco. 

Les acteurs qui soutiennent le SPG au Pérou ont probablement commis une erreur stratégique en consacrant énormément d’énergie à faire reconnaitre le dispositif par l’Etat. Contrairement à ce qui se passe dans les pays voisins (Bolivie, Equateur, par exemple), les orientations de la politique publique péruvienne n’ont que très peu évolué par rapport au tout import-export et à la libéralisation extrême du marché alimentaire. Avec la reconnaissance du SPG par l’Etat, on observe un encadrement très (voire trop) stricte et un manque de substance. Pour les associations, aujourd’hui, le principal combat est celui de changer la législation pour la rendre plus compatible avec les valeurs portées par la certification participative, et plus largement, pour développer une vrai politique de soutien à l’agriculture familiale durable. Toutefois, du point de vue d’Iles de Paix, des résultats plus probants pourraient sans doute être obtenus si une partie de cette énergie était consacrée à la reconnaissance du dispositif par les consommateurs, ces derniers étant souvent négligés dans les stratégies de promotion du SPG.

Enfin, les crises actuelles (COVID 19, explosion des prix des matières premières, changement climatique,…) constituent une réelle opportunité pour faire évoluer nos systèmes de production et de consommation alimentaire. En général, au Pérou, les consommateurs commencent à voir, de plus en plus, les liens entre santé et nutrition, entre production et environnement, et la jeune génération est bien plus sensible aux enjeux du changement climatique. Dans ce contexte précaire, pouvoir accéder à un label comme le SPG devrait constituer un atout pour les paysans agroécologiques. A condition que les autres acteurs du système alimentaire se mobilisent résolument dans le processus de transformation de ce dernier et ne fassent pas supporter le poids du changement uniquement sur les épaules des petits producteurs. Cela passe par un travail, certes avec les décideurs politiques, mais aussi avec des acteurs clés des systèmes alimentaires, tels les restaurateurs, les intermédiaires des chaînes de distribution alimentaire, les secteurs de la santé et de l’éducation, la recherche et, bien évidement, les consommateurs.


[1] Telles que ANPE (Association Nationale des Producteurs Ecologiques) ou IDMA (Institut de Développement Environnemental).

[2] Travail de fin d’études anthropologiques, Erquínigo Zorrilla J., Sistema de garantía participativo: factores de deserción de productores ecológicos en la región de Huanuco – 2019.

[3] Bien que, dans le même temps, ils reconnaissent la facilité d’écouler leurs produits très rapidement (parce que ces derniers sont très recherchés par les quelques consommateurs avisés).

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