Pesticides : le boomerang empoisonné de l’Europe

Depuis la moitié du 20e siècle, le secteur agro-industriel présente les avancées scientifiques et techniques de la révolution verte comme permettant de nourrir le monde et de résoudre le problème de la faim. Pourtant, ce bond technologique échoue à remplir cette promesse, puisqu’aujourd’hui encore, environ une personne sur dix à travers le monde souffre de la faim.

Le modèle de la révolution verte repose sur quatre piliers : les engrais synthétiques, les semences “ améliorées ”, la mécanisation agricole et les produits phytopharmaceutiques. Mais au coeur du système, les produits phytopharmaceutiques sont aujourd’hui le sujet de grandes controverses. En témoignent notamment les récents débats houleux sur le renouvellement de l’autorisation de commercialisation des glyphosates en Belgique et en Europe.

Dans ce dossier, nous nous intéressons particulièrement à la production et l’exportation par des industries européennes de ces produits phytopharmaceutiques interdits sur notre territoire.


Ce dossier est tiré du numéro 136 du magazine Transitions.


Nourrir le monde : produire plus à tout prix

En 2018, l’Union européenne a suspendu l’autorisation d’utilisation de 41 pesticides sur son
sol, en raison des conséquences sanitaires et environnementales dramatiques de ces produits sur la population et les écosystèmes : déclin de la biodiversité, des insectes et pollinisateurs ; toxicité pour les écosystèmes ; diminution des services écosystémiques ; pollution des nappes phréatiques ; accélération des changements climatiques ; apparition de cancers, de malformations congénitales, de troubles de la reproduction ; multiplication de maladies diverses ; mortalité ; etc. La liste est longue !

Malgré les retraits d’autorisation de plus en plus nombreux, les entreprises phytosanitaires continuent néanmoins d’avancer que leurs produits ne sont pas dangereux s’ils sont utilisés correctement et qu’ils restent indispensables pour assurer la sécurité alimentaire mondiale. Les pesticides sont effectivement un outil performant pour le contrôle des ravageurs et des maladies sur les cultures agricoles, et donc pour atteindre de bons rendements. Mais il est à présent clair qu’ils menacent et fragilisent les écosystèmes. Les systèmes de production agricole industriels sont devenus dépendants de substances de synthèse et manquent cruellement de résilience. Les rendements agricoles finissent par diminuer de par la résistance graduelle des nuisibles aux pesticides, les sols se dégradent et la biodiversité décline.

L’utilisation de nombreux pesticides n’est désormais, plus autorisée en Europe, mais le marché mondial a cependant doublé au cours des vingt dernières années, atteignant 53 milliards d’euros de chiffre d’affaires. L’Europe se retrouve à la fois le principal consommateur et le principal producteur au niveau mondial ! A la tête de ce marché en pleine expansion, quatre entreprises : Syngenta, Bayer, BASF et Corteva. Ensemble, elles détiennent trois quarts du marché des pesticides. Trois de ces mastodontes appartiennent aux mêmes fonds d’investissements américains (qui détiennent également du capital des entreprises alimentaires Unilever, Nestlé, Kellogg’s, Coca-Cola et PepsiCo). Toutes produisent sur le sol européen des substances dont l’utilisation y est bannie mais qui restent autorisées à l’exportation…

La Belgique, grosse utilisatrice de pesticides
A l’heure actuelle, le secteur agricole belge est l’un des plus gros consommateurs de produits phytopharmaceutiques en Europe. Alors que l’usage de pesticides a diminué de moitié entre 2000 et 2010 en Belgique, les chiffres sont repartis à la hausse suite aux conditions climatiques, et stagnent depuis 2015 malgré le lancement en 2013 du Programme wallon de réduction des pesticides et d’autres initiatives à différents niveaux de pouvoir. Les agriculteurs belges se retrouvent pris entre des contrôles administratifs de plus en plus fréquents, des injonctions à diminuer leur recours aux pesticides émanant des autorités et des consommateurs belges, et l’absence quasi-totale d’accompagnement dans cette
démarche.

Source: UN Food and Agricultural Organization (FAO)

Cadeau empoisonné : des exportations, là où cela est autorisé

Des produits non-autorisés à l’utilisation en Europe, mais qui y sont produits et sont autorisés à l’exportation ? C’est le paradoxe que l’on observe. Le système législatif européen permet en effet à l’industrie des pesticides de produire et d’exporter ces produits vers des pays tiers, où la réglementation est différente. En d’autres mots : les risques que font peser certains pesticides sont jugés trop importants (et donc inacceptables) pour y confronter les agriculteurs européens, mais acceptables pour qu’y soient exposés des agriculteurs de pays tiers. En 2018, l’Union européenne a permis l’exportation de plus de 81.000 tonnes de pesticides non-autorisés vers 85 pays tiers.

Les États-Unis, le Brésil et l’Ukraine figurent dans les destinations privilégiées pour l’exportation des pesticides. L’Ukraine, par exemple, est le troisième pays importateur de pesticides non-autorisés en Europe, mais qui y sont produits. Elle en importe chaque année 5.000 tonnes, dont principalement l’acétochlore, un herbicide fabriqué par Bayer et Corteva, et l’atrazine produit par Syngenta en France. Ces deux substances contaminent gravement les sources d’eau souterraines, alors que l’accès à l’eau potable est une difficulté dans certaines régions ukrainiennes. Si les agriculteurs qui en font usage reçoivent des documents d’utilisation, ceux-ci ne sont cependant pas toujours compréhensibles ni réalistes. De plus, les utilisateurs ne reçoivent pas forcément de formation quant à l’utilisation des substances et ne disposent pas systématiquement du matériel nécessaire pour se protéger. L’hypocrisie du système réside dans le choix d’exporter des pesticides non-autorisés vers des pays qui n’ont pas la capacité de contrôler les risques. Selon l’Organisation des Nations Unies, chaque année plus de 200.000 personnes décèdent suite à une intoxication aux pesticides (Public Eye, 2020). C’est une violation en matière de droits humains, estiment ses experts.


“ Stop pesticides ”, la campagne des ONG belges

L’ONG SOS Faim, en partenariat avec Iles et Paix et 4 autres ONG, lance la campagne “ Stop pesticides ”.


En 2020, 4.000 tonnes de pesticides interdits ont été fabriqués et exportés par la Belgique.
En 2020, la Belgique est le 1er exportateur européen de néonicotinoïdes interdits.
Jusqu’à 8 pesticides interdits retrouvés dans plus de 50 % des sachets de thé.

Des pesticides dangereux pour l’homme et l’environnement sont exportés dans les pays du Sud depuis la Belgique.

Rendez-vous sur le site www.stop-pesticides.be et signez la pétition pour pousser la Belgique à interdire ce commerce cynique.


Retour à l’envoyeur : des importations pour remplir nos assiettes

Avec la mondialisation de notre assiette, nous y retrouvons des produits issus des 4 coins du globe. Les importations européennes de produits agricoles et alimentaires ont d’ailleurs augmenté de près de 28 % entre 2005 et 2019.

Ces aliments importés posent question, notamment sur la manière dont ils ont été produits. Il n’est pas rare en effet que ce soit au moyen de substances ou de pratiques non-autorisées au sein de l’Union européenne. En effet, du fait de la législation actuelle, les denrées alimentaires produites dans l’Union européenne et celles importées ne sont pas logées à la même enseigne quant aux normes sanitaires et environnementales qui leur sont imposées.

Cette différence de traitement engendre une revue à la baisse des standards de qualité européens. Les denrées alimentaires importées peuvent contenir des résidus de substances dont l’utilisation est exclue dans nos champs en raison des dangers qu’elles présentent. Cela n’est seulement possible que si les résidus de ces substances ne dépassent pas les limites maximales de résidus (LMR). Or, il existe une procédure permettant d’obtenir des dérogations à certaines LMR spécifiques afin de faciliter l’entrée en Europe de produits traités avec ces pesticides pourtant non-autorisés. Ce sont les demandes de tolérance à l’importation.

Ce double standard engendre pour les agricultrices et agriculteurs européens une concurrence déloyale face à des moyens de productions qui leur sont interdits car néfastes, mais qui permettent une production à plus bas cout. Cela diminue la compétitivité des produits européens. Pour répondre à cette pression, les agriculteurs sont incités à demander des dérogations leur permettant d’étendre l’utilisation de certains produits qui ne sont plus autorisés, annulant les effets des récentes interdictions. En Belgique, c’est notamment le cas pour la production de betteraves sucrières et l’utilisation des fameux néonicotinoïdes, responsables du déclin massif des populations d’abeilles.

En se montrant moins regardant sur la qualité de ces aliments importés, l’Union européenne se met en porte-à-faux vis-à-vis des engagements ambitieux pris au niveau environnemental, sanitaire et éthique en élevant les normes de production de notre alimentation.

Guerre en Ukraine : on change les règles du jeu
Alors que la menace d’une crise alimentaire mondiale plane de plus en plus lourdement, des voix s’élèvent pour réclamer la levée de mesures environnementales qui, selon eux, empêchent de produire plus. La stratégie européenne “ Farm to Fork ” (“ De la ferme à la fourchette ”), qui prévoit notamment une baisse de 50 % de l’usage de pesticides et d’antibiotiques vétérinaires d’ici 2030, est directement dans leur viseur. Plusieurs décisions prises par la Commission européenne montrent malheureusement que ce travail de lobbying porte ses fruits. Resurgissent dès lors la possibilité de cultiver des terres en jachère même avec des pesticides et la liberté laissée à chaque pays membre de fixer ses propres règles pour les limites maximales de résidus des cultures importées.

“Si un pays interdit des pesticides en raison de leurs dangers, il ne devrait pas autoriser ses entreprises à les exporter, et il ne devrait pas non plus tolérer l’importation d’aliments produits avec ces substances.”

Michael Fakhri, Rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation

Le double discours insoutenable de l’Europe
Le marché des pesticides non-autorisés en Union européenne illustre une triple aberration. Tout d’abord au niveau sanitaire car les agricultrices et agriculteurs se trouvant à des milliers de kilomètres sont exposés à des pesticides jugés trop dangereux pour être utilisés dans notre pays mais qui y sont néanmoins produits. En contrepartie, les consommateurs européens se trouvent face à des limites maximales de résidus nivelées à la baisse. Ensuite, au niveau écologique et éthique, le paradoxe se trouve dans le fait d’accepter de polluer d’autres régions du monde avec des produits non-autorisés à l’emploi sur le sol européen. Et enfin au point de vue économique et social, nos agriculteurs se retrouvent face à une compétition déloyale, au coeur de laquelle certains aliments importés peuvent être produits à plus bas cout. Il n’y a pas de fatalité ! Si les cadres légaux peuvent changer au gré des crises et si l’on accepte de regarder honnêtement cette situation paradoxale, il apparait clairement qu’une solution pourra émerger afin de protéger convenablement les consommateurs et les producteurs du monde entier ainsi que notre environnement.

La France l’a fait !
Il est dorénavant interdit en France de commercialiser des aliments produits avec des pesticides non-autorisés par l’Union européenne, mais également de produire, stocker et faire circuler ces mêmes pesticides.


Ce dossier est tiré du numéro 136 du magazine Transitions.


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