Les certifications alternatives de produits biologiques : défis et potentiels pour accélérer la transition vers des systèmes alimentaires durables

(Partie 2 : analyse de la situation en Belgique à la lumière des apprentissages tirés de lexpérience péruvienne)

Analyse Iles de Paix, Denis Hees, 21 novembre 2022.

Dans la première partie de cette analyse publiée début novembre sur le site d’Iles de Paix, nous avons rappelé les fondements des systèmes participatifs de garantie (SPG) et avons voyagé au Pérou, un pays où des acteurs de la société civile s’engagent depuis près de 20 ans dans la promotion de ces systèmes alternatifs de certification de produits biologiques. Le Pérou, un pays qui, vu d’Europe, fait donc office de pionnier en la matière. Le SPG y bénéficie même d’une reconnaissance légale, obtenue d’abord au niveau de certaines régions du pays, et plus récemment au niveau de l’Etat péruvien. De prime abord, cela peut donner l’impression d’une histoire à succès. Mais les choses ne sont pas aussi simples qu’il n’y parait. En effet, l’analyse critique du cas péruvien nous a permis de pointer une série de limites et de contraintes à la mise en œuvre du SPG, mais aussi de pistes à explorer. C’est finalement en cela que le cas péruvien est intéressant : il représente une source d’inspiration pour les acteurs engagés sur cette voie du SPG ailleurs dans le monde, notamment en Belgique.

L’agroécologie en toile de fond des SPG à la belge

En Belgique, comme au Pérou et ailleurs dans le monde, les dynamiques SPG émanent d’abord de la société civile. Dans notre pays, plusieurs systèmes participatifs de garantie co-existent actuellement. On peut citer, notamment, ceux de Nature et Progrès Belgique, du Réseau des GASAP ou du Mouvement d’Action Paysanne. L’octroi de subsides régionaux à ces deux derniers acteurs a d’ailleurs permis de donner depuis 2020 un nouvel élan à la dynamique SPG en Wallonie et à Bruxelles.

Chaque SPG a ses spécificités, liées aux réalités territoriales dans lesquelles il s’ancre et aux motivations institutionnelles de ses promoteurs. Mais la plupart des initiatives belges partagent un référentiel agroécologique commun, résultat d’un travail de co-construction mené par les différents acteurs réunis au sein de la plateforme SPG.

Il est intéressant de s’attarder sur cette référence commune à l’agroécologie des SPG belges. Elle traduit en effet la raison d’être et la portée politique des dynamiques SPG dans le contexte belge, voire européen.

Au Pérou, la motivation première des promoteurs du SPG était d’offrir aux agriculteurs familiaux une possibilité de faire reconnaître le caractère biologique de leur production en évitant le coût de la certification privée. Cette dernière, accaparée par le marché des produits d’exportation, est en effet à la fois trop onéreuse et peu adaptée à des systèmes productifs diversifiés. Dans ce contexte, les producteurs choisissant de s’engager dans des dynamiques SPG sont avant tout des producteurs familiaux, privés d’accès à une certification par des tiers.

En Belgique, la situation diffère à cet égard. Ainsi, si on prend l’exemple du Réseau des GASAP, on apprend que parmi les producteurs engagés dans leur SPG, environ les 2/3 disposent par ailleurs d’une certification bio classique. Le SPG vient donc bien souvent en complément et non en remplacement de la certification privée. La référence à l’agroécologie prend tout son sens dans ce contexte.

D’abord car sur le plan des pratiques de production, l’agroécologie traduit la volonté d’aller au-delà du respect d’un certain nombre de pratiques reprises dans un cahier de charges (en particulier, la non-utilisation d’intrants chimiques). Comme nous le confiait un producteur wallon, le SPG lui permet de se distinguer d’une « agriculture bio conventionnelle », qui peut se limiter à une substitution d’intrants de synthèse par des intrants organiques, tout en restant dans des logiques de simplification du paysage et de production dans des monocultures de grande échelle.

Ensuite, la référence à l’agroécologie renvoie à un ensemble de principes sociaux visant à assurer l’équité dans les systèmes alimentaires. Cela permet de prendre en compte des aspects économiques (par exemple, la question du prix juste et de la rémunération décente pour le producteur) et sociaux (par exemple, la satisfaction au travail du producteur ou les liens de solidarité producteur-consommateurs).

Réinventer des liens producteurs-consommateurs, enjeu premier des SPG belges

En Belgique, avant d’être un système certificatif alternatif ou complémentaire au label Bio, le SPG est promu comme un outil qui structure la relation entre producteurs et consommateurs. Il permet d’approfondir leur compréhension mutuelle des modes de productions et de consommation, ainsi que les échanges entre ces acteurs pour améliorer la cohérence des démarches et pratiques, tant du côté de la production que de la consommation.

Francesca Baldin, responsable SPG du réseau des GASAP, nous partage ainsi : « Ce qui est recherché à travers le SPG, c’est d’abord de renforcer la solidarité et de faire des liens entre producteurs d’une part et entre producteurs et mangeurs d’autre part. Sentir la reconnaissance des mangeurs est source de motivation pour les producteurs. Le SPG est aussi un outil de transition que ce soit vers des pratiques agroécologiques, la certification bio ou le respect de critères spécifiques aux associations ou coopératives qui portent un SPG. Enfin, le SPG permet au producteur de faire le point, d’enrichir sa vision en la confrontant au regard de collègues producteurs et de mangeurs. ».

Cette insistance sur l’importance de restaurer des liens de confiance et de connaissance mutuelle producteurs-consommateurs fait écho aux apprentissages tirés de l’expérience péruvienne présentés dans la première partie de cette analyse. Pour rappel, au Pérou les acteurs qui soutiennent le SPG font aujourd’hui le constat amer d’avoir consacré énormément d’énergie pour obtenir une reconnaissance légale du dispositif par l’Etat, qui au final, en l’encadrant dans des règlements d’application non adaptés, est venue vider le SPG de sa substance. Des résultats plus probants pourraient-ils être obtenus en consacrant davantage d’énergie pour la reconnaissance du dispositif par les consommateurs et consommatrices ? C’est en tous cas la piste préconisée par une partie des acteurs péruviens.

L’enjeu de la reconnaissance symbolique dépasse celui d’une reconnaissance légale

Les promoteurs belges du SPG semblent à l’écoute des leçons apprises par leurs homologues péruviens. La plateforme belge SPG indique ainsi qu’« une reconnaissance publique de ces SPG comme une alternative ou une complémentarité crédible aux autres labellisations est le souhait à moyen terme (environ 5 ans) et/ou à long terme de cette démarche, en faisant bien attention aux dérives et/ou à la récupération ».

Francesca Baldin confirme qu’une reconnaissance symbolique du SPG est à son sens plus importante qu’une reconnaissance légale. Une reconnaissance symbolique qui doit s’entendre, selon elle, à la fois comme une reconnaissance par les consommateurs-mangeurs, mais aussi par les pouvoirs publics. Ces derniers doivent en effet reconnaître l’utilité rendue par le SPG pour accompagner la nécessaire transformation de nos systèmes alimentaires et consacrer des moyens pour soutenir le SPG. Car, qu’on ne s’y trompe pas, la dynamique du SPG, bien qu’elle repose en grande partie sur l’implication active de producteurs et de consommateurs, ne peut s’inscrire sur la durée sans un appui-encadrement par une structure outillée pour l’accompagner. L’étude du cas péruvien confirmait la nécessité de cet encadrement. Les dynamiques SPG avaient tendance à s’essouffler dès lors qu’elles ne pouvaient plus bénéficier de l’appui d’une ONG par exemple, dans le cadre de la mise en œuvre d’un projet. Et le cas péruvien n’est pas une exception. Sur base des expériences menées aux quatre coins du monde, on fait le constat que, pour fonctionner de façon optimale, un SPG doit reposer sur l’association de trois piliers : les mangeurs/consommateurs, les producteurs, et un organisme accompagnateur tiers.

Enfin, la reconnaissance symbolique du SPG devrait également couvrir sa reconnaissance ou prise en compte par d’autres acteurs et actrices de nos systèmes alimentaires (par exemple, les restaurateurs, transformateurs, etc.). Sur ce plan, certains aspects du SPG pourraient utilement percoler au travers de labels promus au niveau de ces acteurs. On peut penser par exemple au label Good Food Resto utilisé en région bruxelloise, qui dans sa forme actuelle met surtout l’accent sur l’aspect sain de la nourriture pour le consommateur, sans intégrer réellement la question du producteur.

Le SPG pas une panacée, mais un outil qui questionne nos systèmes alimentaires

Ce voyage à la rencontre du SPG, du Pérou à Belgique, nous montre au final comment cet outil peut nous inviter à questionner le système alimentaire industriel dominant. En tant qu’alternative à une certification officielle confiée à des tiers et dont le coût doit être supporté par les producteurs, le SPG pose la question de l’autonomie et de la souveraineté alimentaire dont les crises récentes (pandémie de Covid 19, conséquences de la guerre en Ukraine, etc.) ont rappelé l’importance stratégique. Le SPG se veut également plus complet que le label bio, en intégrant davantage les aspects sociaux, économiques et environnementaux (notamment le caractère local de la consommation). Enfin, en tant qu’outil visant à recréer des liens de solidarité producteurs-mangeurs, le SPG invite chacun et chacune de nous à s’interroger sur notre rapport à l’alimentation. Ce que nous mangeons est plus qu’un simple bien marchand. L’alimentation, qui est aussi un droit et remplit de nombreuses fonctions (environnementales, culturelles, géostratégiques, d’aménagement du territoire, …), requiert une approche différenciée et une gestion publique et collective.

En conclusion, le SPG reste donc un outil complémentaire à d’autres, et pas une panacée. Il ne peut à lui seul entraîner la transition vers des systèmes alimentaires durables. Mais, on l’a vu, le SPG peut certainement constituer une pièce du puzzle de cette transition.     

Sources :

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